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Notre vie s’accélère de plus en plus. L’évolution technologique nous a octroyé du temps libre sur certaines taches du quotidien, tout en multipliant le nombre de taches à faire. Résultat ? Nous courrons toute la journée…. Ce rythme effréné est l’ennemi de notre santé. Mais c’est également l’ennemi de notre efficacité.

La sensation d’être en retard

Avez-vous déjà eu cette une sensation désagréable d’avoir quelque chose à faire mais que vous ne savez plus quoi? La cause, c’est la multiplication. Il y a tellement à faire, en si peu de temps que naît la sensation constante de louper quelque chose.

 

Dans son livre “Accélération, une critique sociale du temps”, le philosophe Hartmunt Rosa explique pourquoi nous ressentons une accélération. Selon lui, l’innovation technique induit une vitesse plus grande dans nos déplacements et nos communications, ainsi que des possibilités plus nombreuses. Cette augmentation de la vitesse et des possibilités multiplient les changements sociétaux. Comme la société change, nos vies privées sont également changeantes et nous sommes tributaires de cette accélération.

 

Tout ça nous laisse l’impression générale que le temps file, qu’il s’accélère. C’est comme si nous étions emportés dans une course folle. D’ailleurs, nous le constatons tous les jours : il est devenu impossible d’attendre, il faut que les choses soient immédiates. Google a listé en 2021 des critères qu’il considère comme essentiels, dont la rapidité. Le moteur de recherche donne un malus aux sites qui contiennent une page dont le chargement est de plus de 2 secondes, car au-delà de 2 secondes d’attente, les utilisateurs ferment le site !

La sensation désagréable d'avoir oublié quelque chose

Pourquoi subir cette vitesse infernale ?

Nous pourrions faire comme si de rien n’était et vivre à notre rythme. Mais c’est sans compter notre besoin fondamental de faire partie d’un groupe. Nous avons besoin de nous sentir “dans le coup”, de ne pas être à part. L’angoisse d’être laissé de côté si nous loupons quelque chose fait que nous suivons le mouvement.

 

 

D’ailleurs, la vitesse nous fait rêver. Les voitures de sport, les avions, les films d’action… Tout ça a un côté “ouah”!. Il y a trois raisons à cela. D’abord, la vitesse nous sort de nos conditions d’humains limités par notre corps. Elle nous permet de devenir des Sur-Hommes. Ensuite, dans notre culture, il y a un stéréotype fort : vitesse = jeunesse. Ceux qui vont doucement, ce sont les personnes âgées ! Et enfin, des mécanismes cérébraux interviennent. Selon les chercheurs en neurosciences, lorsque des volontaires utilisent des dispositifs d’accélération (commenter une vidéo passée en vitesse accélérée par exemple), les ressentis émotionnels positifs augmentent. Les volontaires se sentent plus alertes, actifs et enthousiastes.

 

Elle aime la vitesse

Efficacité ou vitesse ?

Pendant que la société va de plus en plus vite, que la masse d’infos et d’interactions augmente sans cesse, le droit à l’erreur disparaît. Pourtant, depuis longtemps la psychologie a démontré que performance ne rime pas avec rapidité. Depuis la fin du XIXe siècle, les chercheurs en neurosciences ont constaté que plus on réagit vite, plus on se trompe. De nombreux tests ont démontré que la vitesse augmente le nombre d’erreurs lors tests de questionnaires de culture générale ou de détection d’un signal visuel. La vitesse semble incompatible avec la rigueur et la qualité.

 

 

 

Le cerveau ajuste sa vitesse à la situation

 

Le même dilemme se pose pour effectuer une tâche ou prendre une décision. La vitesse n’est pas toujours la meilleure option. Selon les informations en sa possession, notre cerveau effectue un compromis et ajuste sa vitesse de décision. Pour bien choisir, il a besoin de ralentir et de prendre le temps quand il ne dispose pas des informations nécessaires pour aboutir à un choix efficace. A contrario, notre cerveau aime aller plus vite quand la tâche est trop facile et qu’il n’est pas nécessaire de délibérer davantage. Les psychologues parlent de « compromis vitesse-précision ». Pourtant, souvent nous ne pouvons pas prendre ce temps. Le besoin d’immédiateté nous pousse à faire un choix ou une action. Cela génère du stress, car nous ne respectons pas le fonctionnement optimal de notre cerveau.

 

 

 

La pression de la vitesse diminue notre efficacité

 

 

 

D’ailleurs, de nombreuses études de psychologie montrent que la pression du temps est un problème en elle-même. Si des volontaires ont le même temps pour réaliser un test, mais qu’au premier groupe, il est dit : « Vous disposez de largement assez de temps pour ce test », alors que le deuxième groupe est informé que : « Le temps dont vous disposez sera sans doute insuffisant », les participants du second groupe obtiennent de moins bons résultats. Le sentiment de ne pas avoir assez de temps est un facteur de stress et bloque nos facultés intellectuelles.

 

Aliénation, le piège de la vitesse

Si la société cherche la vitesse, c’est pour améliorer nos vies. Mais nous constatons que la vitesse est aussi un piège qui paralyse notre cerveau.

 

Hartmut Rosa parle d’aliénation, pour exprimer le fait que l’accélération de nos styles de vie appauvrit notre fonctionnement cognitif. Nous sommes des humains « augmentés », capables de se déplacer très vite, de communiquer à distance et d’accéder au savoir mondial en un temps record, Mais en même temps, nos pensées sont de plus en plus brèves et superficielles, car de plus en plus souvent interrompues par diverses sollicitations. Nous disposons de moins de temps pour réfléchir et analyser les informations que nous recevons.

 

 

 

Quand la vitesse nous transforme en machines...

 

 

Nicole Aubert, sociologue et psychologue, explique que de plus en plus de recherches relatent le cas de personnes qui fonctionnent comme « des piles électriques qu’on ne peut pas débrancher » ou d’autres qui « tournent en rond » ou encore qui « pètent les plombs ». Ces métaphores, utilisées par les patients, montrent bien l’analogie entre l’individu et la machine. Selon la chercheuse : “tout se passe comme si, n’étant plus sollicitée au niveau de sa réflexion, ne pouvant plus prendre le temps du recul et de l’analyse, sommée de réagir de manière toujours plus rapide pour gérer un télescopage permanent d’actions ou de réponses à apporter dans l’instant, la personne finissait par fonctionner sur sa seule dimension « énergétique », comme une centrale électrique ou un circuit électronique dont, à certains moments et du fait d’une surchauffe prolongée, les branchements ou les connexions sautent brutalement, comme sous l’effet d’un gigantesque court-circuit.”

 

Le piège de la vitesse

Respectons notre rythme pour être efficace

Trop forcer, ne pas respecter notre rythme génère du stress et de l’angoisse et mène à l’épuisement et à “péter les plombs”. Nous avons besoin de respecter nos rythmes biologiques. Notre cerveau a besoin de prendre son temps pour prendre de bonnes décisions et avoir de bonnes idées. Finalement, pourquoi aller vite ? Est-ce pour répondre à des enjeux essentiels ou pour suivre le rythme ambiant, qui nous impose la vitesse dans tous les aspects de notre vie, même pendant notre repas du soir, alors que nous sommes tranquillement assis autour de la table ?

 

 

 

Le dilemme du choix

 

 

Nous avons la chance de bénéficier de possibilités immenses. Mais pour vraiment en profiter, nous devons prendre le temps de lire, de comprendre et de tester… Prendre le temps suppose de limiter nos actions et de choisir. “Choisir, c’est renoncer” et c’est compliqué de renoncer pour un humain, c’est presque contre nature. Est-ce que vous seriez prêt à mettre votre boite mail de côté pendant une journée entière pour avoir le temps de trouver la meilleure solution à un problème important ? Si vous êtes manager, est-ce que vous accepteriez d’aménager des plages horaires “déconnectées” pour que votre équipe puisse se focaliser sans interruptions pendant un temps salvateur 

 

Se préserver pour le plus important

Tout ce qui arrive à travers nos sens est analysé par le cerveau. Toutes les informations qui nous parviennent nécessitent un traitement spécial. Quand, dans votre boite mail s’accumulent des centaines de messages, votre cerveau va ouvrir un tiroir pour chaque sujet. Pire, quand vous scrollez sur les réseaux, alors que vous pensez faire une pause, votre cerveau accumule des données et des informations qui viennent alourdir votre charge mentale. Ajoutez à cela une confusion entre l’urgent et l’important et voilà la recette de la charge mentale qui mène à l’épuisement.

 

Une seule solution : limiter au maximum les informations qui nous parviennent. La vitesse de la société ne doit pas interférer avec notre besoin de prendre du recul mais cela est impossible si nous laissons notre espace mental se remplir d’informations en continu. C’est difficile car la vitesse et l’immédiateté apportent du plaisir alors que ce qui est primordial dans nos vies n’est jamais immédiat.

 

 

Urgent ou important ?

 

 

Nous avons tous tendance à gérer les urgences tout de suite, sans réfléchir aux conséquences à long terme car les conséquences à court terme sont visibles. Des actions comme réparer un placard, répondre à nos SMS ou faire du shopping ont des retombées concrètes et matérielles immédiates. Face à cela, nous négligeons ce qui est essentiel pour notre bien-être mais n’aura pas de conséquences à court terme, comme réfléchir au sens de notre travail, prendre de bonnes décisions ou marcher dans la nature. Notre société nous pousse à privilégier l’urgent au détriment de l’important, ce qui fait de nous des marionnettes en action.

 

Réduire la vitesse pour se sentir bien et être efficace

 

Pour sortir de ce tourbillon de la vitesse, prenons notre courage à deux mains et choisissons notre temps. Benjamin Franklin disait : « le temps, c’est de l’argent ». Je dirais plutôt que “le temps, c’est de la vie”. Le temps gagné grâce au progrès technique ne devrait pas être destiné à accumuler des biens et des informations, mais à profiter des choses essentielles pour nous. Apprenons à sortir de notre relation de soumission à l’accélération de la société pour garder le contrôle de notre vie.

 

 

Sources

Jan Schwenkenbecher et Roman Briker, Travail : toujours plus vite !, cerveau et psycho 129, 2021

J. J. Mazzola et R. Disselhorst, Should we be « challenging » employees ? A critical review and meta-analysis of the challenge-hindrance model of stress, Journal of Organizational Behavior, vol. 40, pp. 949-961, 2019.

J. Pfeffer et D. R. Carney, The economic evaluation of time can cause stress, Academy of Management Discoveries, vol. 4, 2018,

Sebastian Dieguez, L’Homme pressé : toujours plus vite !, cerveau et psycho 154, 2023

R. Heitz, The speed-accuracy tradeoff, Frontiers in Neuroscience, 2014.

Christophe André, Pouvons-nous redevenir maîtres de notre temps ?, cerveau et psycho 61, 3 janvier 2014

H. Rosa, Aliénation et accélération, Vers une théorie critique de la modernité tardive, La Découverte, 2012.

E. Pronin, Psychological effects of thought acceleration, in Emotion, vol. 8(5), pp. 597-612, 2008.

N. Aubert, l’accélération de soi, cerveau et psycho 61, 2014

N. Aubert, Le culte de l’urgence, la société malade du temps, Flammarion, 2004.